Gustave Caillebotte (1848-1894), bien que peintre dit impressionniste, apprécie la représentation de la figure masculine. En effet, il va à l’encontre de ses camarades peintres de paysage à la touche rapide et colorée ; Caillebotte est, lui, un peintre atteint d’ “indigomanie” qui préfère les perspectives strictes et arbore une touche lisse. Qualifié de “chroniqueur pictural de l’existence moderne” par le critique Gustave Geffroy, Gustave Caillebotte dépeint la vie des hommes du bourgeois à l’ouvrier en passant par le sportif.
À une époque où le masculin et le féminin sont divisés, où la virilité se trouve dans les exploits militaires, où l’émancipation des femmes et l’émergence des sphères homosexuelles commencent tout juste, Gustave Caillebotte introduit une nouvelle image de l’homme acceptant sa part de féminité. Il représente par exemple des hommes nus dans leur intimité ou bien dans des scènes aux connotations habituellement féminines.
Au début des années 1870, Caillebotte, issu d’une famille bourgeoise, abandonne ses études de droit pour devenir peintre. Après une formation chez le peintre Léon Bonnat (1833-1922), il est admis à l’École des Beaux-Arts. Après le refus d’un de ses tableaux par le jury au Salon de 1875, il se tourne vers la Nouvelle Athènes et le groupe des impressionnistes. Malgré sa patte, il partage l’envie de tourner le dos aux traditions et de représenter de façon réaliste la société. Cela avait déjà été fait lors de la première exposition “impressionniste” de 1874 et avant elle avec le Salon des Refusés de 1863 orchestré par Manet.
Gustave Caillebotte, peintre de bourgeois et de travailleurs.
L’un des premiers grands tableaux de Gustave Caillebotte est dédié aux travailleurs urbains est Raboteurs de parquet. Refusé par le jury du Salon de 1875, il est exposé à la deuxième exposition impressionniste en 1876 où il attire tous les regards. La nouveauté vient du réalisme cru avec lequel le peintre traite les corps. Le travail des torses nus, inspirés des statues antiques, est le reste de son parcours scolaire. Contrairement à Courbet ou Millet, Caillebotte n’introduit aucun discours social, moralisateur ou politique dans son œuvre. Il s’agit plutôt du témoignage d’un idéal masculin qui se base sur la fraternité ou encore le dur labeur collectif.
L’artiste, bourgeois aisé, méprise “les distinctions dites sociales” et s’identifie aux travailleurs urbains comme étant un peintre, c’est-à-dire un travailleur manuel. Cela se voit tout particulièrement dans Peintres en bâtiments. Cette toile représente deux ouvriers peignant une façade de bâtiment, un sujet directement lié aux intentions de Caillebotte.
Gustave Caillebotte, peintre du vêtement.
Dans La Nouvelle peinture (1876), Louis-Edmond Duranty écrit : “ce qu’il nous faut, c’est la note spéciale de l’individu moderne, dans son vêtement, au milieu de ses habitudes sociales, chez lui ou dans la rue”. Caillebotte, s’inscrivant dans cette “quête de réalisme” de la tenue, s’attache à la représentation du costume masculin, sans distinction de classe sociale.
Au XIXe siècle, le vêtement ouvrier de couleur bleu ou blanc se distingue du costume bourgeois entièrement noir. Dans les années 1870-1880, le costume masculin devient plus ample et confortable, les attitudes des personnages de Caillebotte deviennent plus nonchalantes, relâchées. Ces attitudes sont qualifiées de “viriles”.
Selon l’expression de Baudelaire “l’héroïsme de la vie moderne” dans son Salon de 1846, Gustave Caillebotte représente des figures contemporaines monumentales où le costume masculin joue un rôle majeur.
Caillebotte, peintre de la vie urbaine.
En 1877, lors de la troisième exposition impressionniste, de nouvelles œuvres de Caillebotte sont mises en lumière, notamment celles présentant des vues novatrices de la ville de Paris.
L’artiste propose des grands formats avec des constructions spatiales complexes, très linéaires, démontrant sa maîtrise de la perspective. Il propose par exemple des cadrages immersifs tels que dans la peinture Pont de l’Europe : le spectateur se retrouve aspiré dans cette scène pour y balader son animal de compagnie. Cette immersion produit un effet de réalité puissant. Ainsi, Caillebotte place la vie moderne à l’échelle héroïque de la grande peinture qu’est le genre de la peinture d’Histoire.
Le regard moderne que porte Caillebotte sur la ville fait débat pendant cette période de révolution industrielle, notamment chez les impressionnistes, néanmoins ce regard personnel s'impose comme emblématique de ce renouveau urbain.
Dans le Paris de Haussmann, les étages nobles sont les plus hauts car ils dégagent une vue panoramique sur la capitale. C’est là que l’artiste fait poser son entourage. Si la fenêtre est un motif traditionnel de la peinture moderne, nous pouvons notamment penser à l'œuvre de Manet, le balcon haussmannien est une nouveauté. De là, les hommes semblent dominer la ville sans pour autant prendre part à l’animation des rues.
Caillebotte, peintre de sportifs.
Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la culture des loisirs se propage en France. Cela inspire Caillebotte, passionné de canotage, qui va réaliser une série sur ce sport et la baignade pour la quatrième exposition impressionniste en 1879.
L’artiste dépeint un canotage sérieux, non-mixte et sportif. Il exprime une nouvelle culture masculine en promouvant le dépassement de soi ainsi que la discipline. Avec l'accélération de l'urbanisation des villes et le dégoût que ce processus apporte, les sports de grand air, la nature est fortement appréciée de la classe bourgeoise se sauvant de l’agitation de la capitale.
Caillebotte, peintre de nus.
S’il n’est pas dans l’habitude de Gustave Caillebotte de peindre des nus, il déroge à la règle au début des années 1880 en peignant trois tableaux qui vont marquer ce genre. Ces tableaux sont effectivement novateurs par leur réalisme cru et sans concession comme cela avait choqué le jury du Salon en 1875 avec les Raboteurs de Parquet. Il n’y a aucun prétexte historique ou mythologique, aucune idéalisation du corps, comme il était courant de le faire chez les artistes suivant le règlement très strict de l’Académie et la classification des genres picturaux.
Il le montre ici l’homme dans son intimité, de dos, dans une position vulnérable, faisant du spectateur un voyeur. Cet homme brise les conventions de représentations de l’époque. Ces œuvres ont notamment suscité des interrogations sur sa sexualité et questionnent plus généralement les notions de genre et d’érotisme.
Après la dissolution du groupe impressionniste au cours des années 1880 et l’arrêt des expositions collectives, Caillebotte n’expose presque plus à Paris. Il reste cependant informellement en contact avec tous ses compagnons artistiques dans le café de la Nouvelle Athènes, qui demeure un lieu de rendez-vous incontournable.
Cette exposition met en avant le peintre qu’était Caillebotte, c’est une exposition bien pensée à aller voir de ce pas.
Leyla Chaussepied, responsable marketing et communication, mandat 2024-2025.